PREMIERE PARTIE ..........ANGOISSE

 

Maman, J'ai quelque chose à te dire

 

"Maman, j'ai besoin de te parler. J'ai quelque chose à te dire, mais j'ai peur que tu ne cesses de m'aimer après". Mon fils de 15 ans est couché à côté de moi sur le lit, à la manière de nos conférences familiales habituelles. Les enfants savaient qu'ils pouvaient disposer de mon attention exclusive quand j'étais déjà au lit.

Je le rassurais en lui disant que quoique ce soit qu'il me dise, je continuerais de l'aimer. Il toussota et se racla la gorge et je pensais qu'il allait me dire qu'il était homosexuel. Je soupçonnais depuis des années qu'il l'était et j'espérais que cette conversation aurait lieu un jour pour que nous puissions nous impliquer dans le système de soutien de la communauté homosexuelle. Mais il avait quelque chose de totalement différent dans son esprit.

Il dit "j'ai besoin d'être une fille. Je suis une fille à l'intérieur de moi. J'aime les garçons mais à la manière d'une femme, pas à la manière des gays. Je ressens cela depuis des années et tu sais combien je suis féminine".

Ainsi c'est cela qui l'avait bouleversé durant les derniers mois. Au début, je ne savais que dire. Je l'étreignis et je pensais "Oprah Winfrey, où êtes-vous?" Je regardais rarement la télévision et encore moi les émissions de la journée, alors je n'avais encore pas été introduite à ce problème. Tout semblait se passer très lentement. Je sentais que ma vie prenait un tournant irréversible. Je savais qu'elle ne serait plus jamais la même.

Après un long silence, il me demanda "qu'est-ce que tu vas faire?"

"Honnêtement, je ne sais pas que faire, mais je trouverais", lui répondis-je.

Après avoir ri et pleuré ensemble, je lui demandais "Est-ce que tu as jamais porté mes vêtements?"

Sa réponse fut que "je ne voudrais pour rien au monde porter tes vêtements vieux et démodés". Et je le crus. En dehors du fait que j'étais plus grande que lui, je savais qu'il désapprouvait mon absence de goût vestimentaire. Il me réprimandait pour mon manque d'intérêt pour la mode, le maquillage et la coiffure. Il me disait "Tu es une femme, tu peux faire tellement de choses et tu ne les fais pas. C'est un tel gaspillage!"

Nous parlâmes de son enfance. Il admit avoir essayé les vêtements de sa cousine. Il était heureux quand quelqu'un le prenait pour une fille en raison de son apparence féminine, bien que je l'aie toujours assuré que tel n'était pas le cas. Il s'était toujours senti très mal quand je disais combien j'étais fière de mes trois fils. J'avais souvent ajouté "je suis heureuse de ne pas avoir de fille, parce qu'elles sont plus difficiles à élever". Parfois, je disais "Le monde n'est pas encore prêt pour les filles que j'aurais élevée", car j'aurais encouragé mes filles à faire partie d'une équipe de football ou à être pilote de chasse ou présidente. Combien cela était prophétique alors que je m'apprêtais à élever une fille pour laquelle le monde n'est absolument pas prêt. J'avais toujours dit à mes enfants qu'ils pourraient être tout ce qu'ils voudraient quand ils seraient grands, mais je n'avais jamais imaginé qu'un de mes fils veuille grandir pour devenir une femme.

Je veux juste être normale, et, pour moi, normale, c'est être une fille. Je suis fatiguée de ne pas être moi-même. Je suis fatiguée d'être confuse. Je veux juste être une fille. Je n'ai pas d'avenir en tant qu'homme. J'ai eu envie de m'enfuir de la maison pour pouvoir être une fille sans que personne ne me reconnaisse, mais je savais que cela te blesserait." Je lui demandais s'il voulait changer d'école et commencer comme une fille l'année prochaine. "Je peux me débrouiller pour finir mes classes secondaires en donnant l'apparence d'un garçon", me répondit-il, "je ne suis pas sûre que d'aller à l'école comme fille sera la solution, parce que je serais juste en train de me cacher et de simuler de l'autre côté". Il voulait vraiment ETRE une femme, et pas seulement s'habiller comme une femme.

Il s'endormit finalement à côté de moi. Entre temps, mon esprit était complètement éveillé et je me posais des dizaines de questions. Qu'est-ce qui arrive à ce genre d'enfants? Est-ce que c'est juste une passade? Est-ce que cela fait partie de l'homosexualité? Si je ne lui accorde pas beaucoup d'importance, est-ce que ça va disparaître? Est-ce qu'il y a un nom pour cette condition? Est-ce que cela se produit habituellement avec des personnes si jeunes et est-ce qu'elles peuvent changer? Peuvent-ils réussir dans la vie? J'avais besoin d'information, et j'en avais besoin immédiatement, au milieu de la nuit.

Que peut faire une mère dans cette situation? Quand mes enfants venaient vers moi avec une coupure, je mettais un pansement et j'ajoutais un baiser, mais je n'avais pas de pansement pour ce problème. Je savais que sa vie serait difficile et douloureuse. Comment est-ce qu'une mère peut aider et est-ce que l'amour d'une mère suffit? Etais-je assez forte pour faire face à cela? Je pensais que je connaissais assez bien mes garçons, mais je n'avais jamais imaginé que la vie de Danielle était difficile à ce point.

* . * . * . * . *

Ceci fut le début d'un autre chapitre dans ma vie si peu conventionnelle. J'ai passé une partie de mon enfance en Afrique avec des parents missionnaires. J'ai ainsi été initiée aux voyages, à l'aventure et aux tentatives de changer le monde. J'étais aussi de style anticonformiste, je prônais le retour à la nature et j'avais abandonné mes études pour devenir bénévole dans une école d'un petit village mexicain. C'est là que je rencontrais Salvador, un homme avec de beaux yeux latins, un homme dont l'univers était limité à une ville si petite qu'elle avait une seule rue pavée. Son style de vie simple et autarcique m'attirait. Nous avons fait pousser notre nourriture, élevé une vache et je faisais nos vêtements.

Nous vivions dans une vieille maison sans eau ni électricité. Après la naissance de notre premiers fils, David, nous avons déménagé en Californie, ce qui fut le premier de plusieurs déménagements entre le Mexique et les Etats-Unis. Après la naissance de Benjamin et de Daniel en Californie, nous sommes retournés au Mexique, dans une maison neuve et moderne que nous avons passé plusieurs années à construire. Quelques mois plus tard, nous avons été victimes d'une crue subite durant des pluies de printemps extraordinairement fortes. Les enfants et moi, nous fûmes abandonnés durant plusieurs heures sur le lit superposé du haut, alors que nous voyons le mobilier flotter et être entraîné par la rivière. Par chance, nous avons été sauvés avant que toute la maison ne soit emportée.

Pendant dix ans, j'ai essayé de prouver à tout le monde que ce mariage pouvait fonctionner, mais la réalité s'est finalement imposée quand je n'ai plus accepté que Salvador essaie même de nous isoler de sa propre famille. Je me décidais finalement à partir, en prenant les enfants âgés de trois, cinq et neuf ans avec moi.

Leur père dit, "Puisque tu pars et que tu prends les enfants, je m'attends à ce que tu puisses subvenir à leurs besoins. Si tu as besoin d'aide tu peux revenir pour vivre avec moi." Salvador tint parole et ne fournit jamais aucune aide et je ne revins jamais vers lui ni ne lui demandais jamais quelque aide financière que ce soit.

Ma vie de mère célibataire sans soutien ne fut pas facile. J'étais constamment paniquée par les finances, espérant toujours que la fin du mois arriverait avant celle de notre argent. Nous vivions parfois en ville, parfois en campagne, avec différents animaux, un chien destructeur, un oiseau, des poissons et un cheval. Il y avait des loisirs, des leçons de musique et des colonies de vacances.

Après avoir vécu pendant quatre années de l'assistance sociale, je commençais à travailler à plein temps comme employée de bureau dans un hôpital et Daniel commença l'école.

J'avais encore un deuxième travail qui nous permettait de payer le loyer et de mettre de la nourriture sur la table. Mais cela réduisait grandement le temps que je pouvais passer avec les garçons. Ils apprirent à prendre soin d'eux-mêmes et les uns des autres. Au fond de moi, je craignais toujours que la Protection de la Jeunesse ou d'autres autorités ne découvrent les enfants seuls à la maison et me les enlèvent. Cela se produisit presque quand la police vint en réponse à un faux appel d'urgence fait depuis notre maison par une des filles du voisinage. Ils trouvèrent Ben, qui avait alors 12 ans et Daniel qui en avait neuf seuls. La loi permettait à un enfant de 12 ans d'être seul, mais elle ne lui permettait pas de s'occuper d'un enfant plus jeune. Ben et Daniel offrirent aux policiers des sandwichs au beurre de cacahuète et leur demandèrent de l'aide pour un jeu informatique. La police conclut qu'ils étaient bien nourris et que c'était de braves garçons. Ils partirent en faisant bien comprendre que leur mère devait trouver quelqu'un pour s'occuper d'eux quand David ne le pouvait pas.

David devint mon fidèle assistant et ma baby-sitter pour ses plus jeunes frères. Il prit même un cours de baby-sitting auprès de la croix-rouge. Mes enfants étaient assez autonomes, car ils avaient appris à faire les achats à l'épicerie, à se nourrir eux-mêmes, à nettoyer les vêtements et à gérer l'argent. Je pouvais leur donner $20, quand c'est tout ce que j'avais pour la nourriture jusqu'à la fin de la semaine, et ils décidaient de ce qu'il fallait acheter. Ben pouvait estimer le coût total de leurs achats au centime près, afin de ne pas avoir de problème à la caisse. Ils m'aidaient à faire mes chèques et à surveiller mon compte en banque. Ils comprenaient qu'ils avaient besoin de m'aider en évitant les problèmes. Je ne voulais pas qu'ils se fassent du souci, mais j'avais besoin d'aide et je préférais accepter cette réalité.

Nous avons souvent déménagé parce que je devais vivre là où je trouvais du travail, ou nous avions des problèmes avec les voisins, des colocataires ou l'école ou le logeur augmentait le loyer. Nous avons même déménagé temporairement sur la côte est, faisant les trajets en bus Greyhound. Nous étions une équipe et mes enfants avaient toujours leur mot à dire dans les décisions de déménagement. Je ne créais pas de règle car je n'étais pas à la maison pour les faire respecter. Je les élevais en utilisant la théorie que je m'attendais à ce qu'ils soient bons et ils l'étaient. Je les laissais apprendre de leurs erreurs. Sils restaient éveillés trop tard, ils avaient de la peine à se réveiller à temps pour être à l'école le lendemain. Ils réglaient eux-mêmes leur réveil car j'étais souvent déjà partie avant qu'ils ne se réveillent.

Mes enfants ont été élevés sans Dieu même si je n'avais aucune idée sur la manière d'élever des enfants sans religion. J'avais été élevée dans une maison chrétienne et conservatrice où le péché, la punition et la culpabilité semblaient se trouver dans tous les recoins. Je crois que je suis responsable de mes actes. S'il y a un Dieu, il n'a besoin ni de mon adoration ni de mon argent. Je ne crois pas qu'il soit impliqué dans les événements quotidiens de la vie de chaque personne. J'aimais à penser qu'il y avait une forte force féminine quelque part, qui prenait soin de mes enfants quand ils étaient hors de ma vue, comme une grand-mère céleste.

Le grand sens de l'humour et des responsabilités de David m'aidait à garder les choses en perspective. A seize ans, il obtint son permis de conduire et ma mère lui donna une voiture d'occasion. Je m'assis avec lui et dit "Maintenant que grand-mère Clea t'a donné une voiture, nous devons établir des règles pour la conduite".

"Pourquoi?" demanda-t-il?

Après avoir réfléchi, je ne trouvais aucune raison valable car il avait toujours démontré une maturité exceptionnelle. Ainsi, ensemble, nous décidâmes qu'aucune règle ne serait nécessaire aussi longtemps qu'il se comporterait de manière responsable et qu'il éviterait les problèmes. Et il n'y eut jamais aucun problème. Il revenait souvent d'un rendez-vous ou d'une activité scolaire, il me réveillait et s'asseyait sur le lit pendant qu'il me racontait sa soirée. Même quand j'étais très fatiguée, j'étais heureuse qu'il veuille me parler car j'aimais beaucoup me sentir impliquée dans sa vie.

Ben, qui est de quatre ans plus jeune que David, et très brillant, s'ennuyait à l'école, même dans les classes pour les élèves doués. Il était passionné par l'argent et il montrait des signes d'esprit d'entreprise dès sa jeunesse. Il offrait parfois de nettoyer mon sac pour la monnaie égarée qui s'y trouverait, ou il collectionnait les coupons d'action pour des produits de consommation courante et j'étais heureuse de lui donner les économies réalisées. Quand nous faisons des ventes de nos vieux objets, c'était Ben qui fixait le prix des objets et qui gérait l'argent. Lors de sa troisième classe1 [1], il choisit le cor baryton [2] et il jouait dans un orchestre. Le cor était presque aussi grand que lui, mais il s'arrangeait pour le traîner tous les jours à l'école, le tirant derrière lui placé sur un porte-poubelle. Il devint très habile et joua du cor durant toute sa scolarité alors qu'il apprenait aussi d'autres instruments à cuivre. Il apprenait aussi facilement à utiliser les ordinateurs, il était un bon athlète et il excellait dans tout ce qu'il faisait. Comme l'enfant du milieu, de seulement deux ans plus âgé que Daniel, je l'ai probablement un peu négligé, mais il s'en est bien tiré tout seul.

Et puis, il y avait Daniel! C'était un enfant aimant et doux, mais qu'il était difficile à gérer! Il ne fit pas sa crise d'enfant terrible avant cinq ans, mais je crus alors qu'il n'en sortirait jamais. Il testait toujours mes limites. Si je disais "non", quand il voulait toucher une babiole sur un rayon, il les essayait tous les uns après les autres pour voir si je disais toujours "non".

Brosser et arranger mes longs cheveux bouclés était un des passe-temps favoris de Daniel depuis qu' il avait environ trois ans. Au début de son adolescence, il pouvait arranger mes boucles épaisses en une coiffure spectaculaire pour toutes les occasions particulières. Il était très intéressé par la mode et toujours au courant des tendances actuelles. Pour lui-même, la plupart du temps, il choisissait des vêtements unisexes, avec des couleurs vives et il les lavait à la main pour que les couleurs ne passent pas. Quand j'étais en train d'acheter des vêtements pour moi-même, il aimait beaucoup m'accompagner et me conseiller. Après coup, je crois qu'il vivait par procuration à travers moi, parce qu'il ne pouvait pas porter de vêtements féminins lui-même.

Ben et David essayèrent en vain d'impliquer Daniel dans des jeux plus chahutés. Mais il devint assez habile à se défendre, quand ses frères se moquaient de lui ou le taquinaient. Une fois je revins à la maison pour trouver les deux frères dans un coin, bloqués par Daniel qui utilisait avec beaucoup d'efficacité un manche à balai pour les empêcher de s'échapper.

La plupart des sports n'intéressaient pas Daniel, mais il appréciait la planche à roulette et il prenait des cours de claquettes et de gymnastique. Comme il réussissait mal à l'école, je l'encourageais dans ces passe-temps pour qu'il prenne confiance en lui. Il avait beaucoup de talent pour la gymnastique et ses frères le couvraient de louange quand il pratiquait la pièce droite [3], la culbute à une main [4] et d'autres choses qu'ils n'arrivaient pas à faire.

Daniel avait toujours préféré jouer avec les filles qu'avec les garçons. Dans sa boîte à jouet chez grand-mère Clea, les vieilles poupées étaient ses jouets favoris. Daniel aimait coudre, cuisiner et nettoyer la maison. Comme j'avais peu de temps pour ces activités féminines, il ne suivait pas mon exemple. Il réarrangeait le mobilier à son idée et cherchait des photos ou d'autres éléments pour décorer les parois.

Après beaucoup de travail très dur, je créais ma propre entreprise de statistiques en matière de cancer. Etre indépendante me correspondait bien car j'aime décider de ma vie. Cela me permettait aussi d'avoir un emploi du temps flexible. La paye était acceptable, nous n'avions plus besoin de compter les centimes et nous sommes arrivés à sortir des dettes. J'étais fière d'être capable de gagner mon pain, je satisfaisais les besoins de ma famille et mieux que nombre de familles où il y a deux parents. Les femmes, dans notre société, ont rarement cette opportunité. Nombre de mères célibataires que je connais se contentaient de jouer le rôle de victime, dépendant des caprices du père pour satisfaire les besoins des enfants. Pendant de nombreuses années, je rêvais de quelqu'un qui partagerait les responsabilités et la joie de voir mes enfants grandir. Malheureusement, la plupart des hommes auxquels je m'attachais ne faisaient qu'accroître mes soucis et n'appréciaient pas les garçons autant que je l'avais espéré. Etre célibataire m'allait bien, car les garçons étaient le centre de mon attention et de mes soucis.

Alors que Daniel finissait sa huitième classe, je vis apparaître des signes de tension croissante. Il semblait apprécier l'école et se lier d'amitié avec d'autres élèves, mais quelque chose le préoccupait. Il ne trouvait plus le sommeil et, quand il y arrivait, il ne dormait pas bien. Il savait qu'il devait dormir pour être en forme à l'école le lendemain et nous essayâmes le lait chaud, nous avons regardé des émissions ennuyeuses à la télévision, nous avons chanté des berceuses, raconté des histoires et fait des exercices mentaux comme "Marcher dans une forêt sombre mais amicale et s'imaginer être fatigué". Nous avons aussi parlé de nombreuses choses.

Une fois, il me dit, "Je ne sais pas qui je suis".

Je répondis "La plupart des adolescents ont ce sentiment. Probablement que la plupart des enfants de ton école ressentent la même chose".
"Quand mon adolescence sera finie, je ne me sentirais plus comme cela?" demanda-t-il.

"C'est cela. Tu dois juste traverser tes années d'adolescence". Mais je ne savais pas combien cela serait difficile pour lui que de traverser ces quelques années.

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Pour sa deuxième année d'études secondaires, Ben alla vivre avec David, qui étudiait à Phoenix. Cela ne m'était pas facile de laisser Ben partir alors qu'il était encore si jeune, mais cela résolvait de nombreux problèmes. Daniel, Ben et moi vivions en campagne, à une heure de bus de la plus proche école secondaire. Mon horaire m'interdisait de le conduire et de le rechercher à l'école et ils se sentait très seul. Il était malheureux de ce que les problèmes de transport l'empêchaient de participer aux activités para-scolaires ou sportives. David vivait dans un appartement mais avait des problèmes pour trouver des colocataires responsables. David suggéra que Ben vécût avec lui et allât à l'école voisine.

J'étais triste de voir Ben partir et je craignais un peu cette solution, mais ils voulaient essayer. En plus, du fait qu'il pouvait toujours revenir à la maison si cela n'allait pas. Je payais la part de Ben pour la location de l'appartement, mais, pour le reste, ils subvenaient eux-mêmes à leurs besoins. David et Ben avaient une carte de crédit sur mon compte, pour le cas où ils avaient besoin d'argent de manière imprévisible. Ils ne l'utilisaient jamais sans m'en parler, et ils ne l'utilisaient jamais sans raison. J'étais fière de savoir qu'ils allaient régulièrement à l'école, qu'ils travaillaient et payaient leurs factures et prenaient soin l'un de l'autre.




Je ne sais pas qui je suis

Chaque fois que c'était possible, je permettais à mes enfants de construire eux-mêmes leur vie et j'essayais de ne pas influencer leurs entreprises aventureuses par mon anxiété. J'étais fière de David et de Ben qui me prouvaient qu'ils savaient ce que cela voulait dire que d'être responsables. Mes amis étaient stupéfaits par cet arrangement inhabituel. Les parents sont, la plupart du temps, incapables de faire face à leurs adolescents à la maison, sans parler de deux frères complètement autonomes à 400 milles de leur famille.

Alors que les enfants étaient presque autonomes, je voyais la lumière à la fin du tunnel. Mais je ne réalisais pas combien ce tunnel serait encore long.

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Après sa révélation, Daniel était paisible et calme, mais j'étais folle. J'essayais de maintenir une apparence de calme, mais mon esprit refusait de travailler en raison de mon stress et de mon absence de sommeil.

Le lendemain matin, Daniel passa des heures devant le miroir de ma chambre. Il se coiffa, se maquilla, rasa ses jambes et créa des shorts à partir d'une paire de pantalons longs. Quand il noua un T-shirt au-dessus de sa taille, il ressembla à une fille. C'était stupéfiant de voir la transformation. Mais il adoptait une apparence unisexe devant les autres et il ne voulait pas que je parle à ses frères.

Quand nous sommes allés faire des courses plus tard dans la journée, Daniel dit qu'il avait besoin de sous-vêtements et je me demandais s'il pensait à des dessous. Je ne le lui demandais pas mais je lui dis juste de prendre ce dont il avait besoin, car je voulais éviter d'aborder ce sujet. Il choisit son style habituel de slip et je respirais de soulagement. J'étais sans cesse à la recherche de signes de quelque chose, mais je ne savais pas de quoi.

J'avais demandé à un de mes amis de me rejoindre au magasin parce que j'avais réellement besoin de parler à quelqu'un de mon problème, mais je savais qu'il ne devinerait jamais. Quand mon ami apprit la cause de mon désarroi, il admit qu'il n'aurait jamais deviné. Il me dit qu'il pensait que cette condition était appelée "dysphorie de genre" ou "transsexualisme". Il me conseilla de faire des recherches dans la bibliothèque de notre hôpital universitaire.

Un autre ami qui connaissait bien mes enfants me fit part de son soutien mais ne savait pas grand chose des problèmes d'identité. Cependant, quelques jours plus tard, il m'appela pour me communiquer des informations inquiétantes. Un de ses amis gay lui avait dit que les transsexuelles ont une vie encore plus difficile que les gays car ils sont à l'extrémité du spectre, en ce qui concerne leur acceptation par la communauté. Il me fit aussi part de sa sympathie car il savait que nous avions une route difficile devant nous et me suggéra que nous allions voir le centre gay et lesbien pour rechercher de l'information.

Daniel était parti rendre visite à ses frères aussitôt que l'école fut finie. Ben le ramena de l'Arizona pour le quatre Juillet. J'étais au bord des larmes toute la journée. Contrairement au souhait de Daniel, je fis part à Ben de la raison de mon désarroi car j'avais besoin d'en faire part à quelqu'un. Ben dit "Ca n'est pas si grave, Daniel a probablement besoin d'un peu plus d'attention". Quand Ben fut prêt à retourner à Phoenix, Daniel voulut l'accompagner. Il voulait pouvoir aller faire des achats, en tant que fille sans craindre de rencontrer ses amis. David et Ben acceptèrent l'idée car ils appréciaient qu'il cuisine et qu'il s'occupe de l'appartement pendant qu'ils travaillaient ou qu'ils étudiaient. Daniel avait considéré plusieurs noms féminins, comme Jasmine ou Danny, mais il semblait se décider pour Danielle.

Mon intuition me disait que des événements mémorables auraient lieu durant cette deuxième visite de Danielle en Arizona et je parlais à mes enfants presque chaque jour pour pouvoir en faire partie.

Danielle me parla de Denise, qui était une bonne amie et une voisine de Ben et de David. Elle avait connu une transsexuelle et elle en avait reconnu les signes chez Danielle, alors elle la prit sous son aile. Alors que ses grand frères étaient absents, elle et Danielle expérimentaient avec la coiffure, le maquillage et faisaient tout ce que des amies font, les choses que Danielle avait depuis longtemps aspiré pouvoir faire. Danielle avoua qu'elle avait emporté une partie de mon maquillage, maquillage qu'elle m'avait encouragé à acheter une année auparavant quand elle l'avait vu à la télévision. Cela ne me dérangeait pas car je l'utilisais rarement. Danielle m'informait des nouvelles choses qu'elle faisait et elle me parlait de tout ce qu'elle achetait lors de ses expéditions au supermarché avec Denise. David utilisait la carte de crédit pour obtenir du liquide pour Danielle et elle me disait combien elle avait payé pour tout car elle se sentait mal que je dépense de l'argent pour elle.

C'est Denise qui parla à David de la transsexualité et de ce qui arrivait à Danielle. Quand il me dit qu'il savait, je pleurais de gratitude pour Denise. Qu'elle soit bénie, je voulais l'étreindre. David était assez perturbé par tous ces changements. Il faisait de son mieux pour cacher ses sentiments à Danielle, en commençant à faire plus de gym que d'habitude. Ben persistait dans son attitude de croire que Danielle avait juste besoin de plus d'attention. Il lui acheta un programme artistique et essaya de lui montrer comment l'utiliser. C'était astucieux de la part de Ben de trouver un moyen de lui donner plus d'attention au travers de l'ordinateur qu'il appréciait.

Danielle me dit que ses frères la traitaient bien et qu'ils étaient heureux de savoir qu'elle n'était pas gay. Elle me dit qu'elle avait vu une transsexuelle de 18 ans lors d'une émission à la télévision et dit "je penses que j'aurais pu mieux exprimer ce que je ressens intérieurement".

Denise pensait que Danielle passait très bien comme fille, les garçons essayaient même de la contacter au supermarché. Denise dut rappeler à Danielle de ne pas se gratter là où son soutien-gorge la démangeait. Quand Danielle commença à recevoir des appels téléphoniques, David se mit à avoir peur d'utiliser le mauvais pronom, alors il n'en utilisait aucun. "A la piscine" disait-il, "au supermarché" ou "pas à la maison".

Danielle me parla d'un homme de 21 ans, un voisin qui habitait le même complexe d'appartements, qui la prit au magasin pour aller acheter de la laque pour les cheveux. "Je lui dit que j'avais deux grand frères très jaloux, aussi je devais faire très attention", lui dit-elle. "Il est joli mais plutôt nul. Il ferait un bon ami, mais pas plus".

J'étais sûre que ma nouvelle fille aurait bientôt le coeur brisé, mais Danielle était très excitée à l'idée de rencontrer des garçons qui l'appréciaient comme la fille qu'elle était. Quand j'appelais une nuit, Danielle était sortie pour un rendez-vous avec le voisin. Quand il vint la chercher, Danielle écrivit son adresse et son numéro de téléphone. Ses frères se faisaient du souci à son sujet et ben attendait jusqu'à ce qu'elle rentre. David décida que, avant de sortir avec une fille, il demanderait à voir une de ses photo d'elle bébé, nue. Il n'était pas sûr de vouloir sortir avec une transsexuelle.

David et Ben discutèrent de la meilleure manière de mettre leur père au courant. Ils cherchaient un truc pour adoucir le coup. Ils commenceraient par lui dire que David était gay, que ben était un travesti et que Daniel était transsexuelle. Puis, quand il apprendrait la vérité, que Daniel était transsexuelle, il serait soulagé de savoir que seul l'un des trois avait un problème. Ils rirent et parlèrent de ce qu'ils imaginaient de la réaction de leur père. Ils ne mirent jamais en pratique ce truc, mais j'étais heureuse de voir mes enfants gérer cette situation avec humour et bon sens.

Alors que Danielle était en Arizona depuis deux semaines, David me dit que la situation commençait à lui poser problème et qu'il souhaitant voir Danielle retourner à la maison. Le deuil fait partie de l'ajustement de la famille quand un enfant se rèvèle gay ou transsexuel et David m'exprima ce sentiment quand il dit "c'est comme si mon frère était mort et que je ne sache pas qui est cette nouvelle personne". David avait l'impression que cela était aussi en partie de sa faute parce qu'il avait été loin alors que son frère grandissait et qu'il avait du faire quelque chose de faux.

A plusieurs reprises, je pensais "je veux juste que mon Daniel me revienne". J'espérais secrètement que Danielle allait m'appeler, me dire qu'elle avait changé d'avis et qu'elle redevenait mon petit garçon. Je voulais m'enfuir de tous ces problèmes inattendus et retrouver ma vie d'avant. Mais il y avait tellement de choses à faire que je n'avais pas trop de temps pour porter le deuil.

Ma plus grande tristesse était de savoir les difficultés qui attendaient ma nouvelle fille. Je pressentais que la route serait longue et que nous n'avions même pas une carte pour pouvoir la suivre. Je me demandais si je serais assez forte pour gérer cette nouvelle situation. Je me demandais encore et encore "Est-ce que l'amour d'une mère est assez fort?"

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Alors que tous mes enfants étaient à Phoenix, je me décidais à chercher de l'information. Mon premier arrêt fut le centre gay et lesbien. Jusqu'au moment où Danielle me révéla qu'elle était une fille, je m'étais résignée au fait qu'il était gay. Aussi, je m'attendais à contacter le centre à un moment ou à un autre.

Est-ce que l'amour d'une mère est assez fort?

Quand j'étais jeune, mon expérience avec les gays avait toujours été positive. "Oncle Bob" était proche de notre famille et il était aussi le père d'une de mes meilleures amies. Nous savions qu'il était gay, mais nous savions aussi qu'il était une personne bonne, digne de confiance et un adulte qui avait une grande place dans nos vies.

Un camarade de classe et ses soeurs jumelles étaient mes meilleurs amis durant mon école secondaire. Phil se révéla deux ans plus tard quand il me dit qu'il avait quitté l'église parce qu'elle condamnait les gays. Quand je lui rendis visite à San Francisco, il vivait avec deux amis dans un appartement très bien décoré où ils partageaient tous les responsabilités de la maison. Je remarquais combien l'atmosphère qui régnait dans leur maison était paisible, chaleureuse et tranquille, bien loin des relations stressantes, amères et possessives que j'avais vues dans nombre de foyers hétérosexuels. Un enseignant très respecté dans mon école secondaire était gay, mais nous ne le savions pas à ce moment. Il m'avait enseigné la langue anglaise et l'avait rendue intéressante et stimulante. Il était marié et sens enfants faisaient partie de nos proches. Des années plus tard, je lui rendis visite alors qu'il mourrait du SIDA, et je remarquais qu'il était toujours attiré par de nouveaux projets. Je lui partageais mon souci pour mon cadet.

Ces trois hommes, ainsi que tous les autres gays et lesbiennes que je connaissais semblaient être des personnes vraiment remarquables. Quand je croyais que Daniel était gay, j'espérais qu'il serait lui aussi un être humain merveilleux. Je ne me sentais pas coupable car j'avais élevé mes trois garçons exactement de la même manière. Dès l'âge de cinq ans, je notais que Daniel était efféminé et différent des autres garçons, mais je savais qu'il n'avait pas choisi d'être ainsi. C'est ma conviction que certaines personnes sont nées gay tout comme je suis née avec les cheveux bouclés et une mauvaise vue. Je ne croyais pas que Daniel avait été influencé par une source extérieure, ni qu'il était en train de pêcher.

Par chance, j'avais lu que le genre du foetus est déterminé par les hormones auxquelles il est exposé dans l'utérus. Tous les bébés commençaient par être féminins. Une fraction infinitésimale d'hormones masculines au bon moment est indispensable au développement normal des organes sexuels masculins et de la manière que les hommes ont de penser. A de rares occasions, quelque chose tourne mal. Il peut y avoir assez d'hormones masculines pour produire des organes sexuels masculins, mais il n'y en a pas assez pour imprégner le cerveau du comportement masculin. Bien que j'étais surprise et un peu choquée d'apprendre que Daniel était transsexuelle, je pense que c'était plus facile pour moi de l'accepter parce que je savais qu'il était né ainsi.

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J'étais au bord des larmes lors de cette première visite au centre gay et lesbien, et je fus heureuse de rencontrer une conseillère amicale et sympathique. Quand je lui demandais de l'aide pour un garçon qui voulait être une fille, elle ne put pas être d'une grande aide et admit ne presque rien savoir sur ce sujet. Elle me louangea comme une mère merveilleuse pour mon désir d'aider mon enfant, et fixa un rendez-vous avec un psychologue de l'équipe qui avait de l'expérience avec les transsexuels. Elle me donna aussi le téléphone d'un groupe de soutien dans la région pour les transsexuels et les travestis, qui s'appelait "le coin neutre".

Mon prochain arrêt fut la bibliothèque de l'hôpital où je trouvais des articles sur l'utilisation des hormones et sur les procédures de réattribution de sexe. Une étude émettait l'hypothèse que les transsexuels tendent à avoir plus de frères que de soeurs et qu'ils viennent plus tard dans la fratrie. Une autre émettait l'idée que des déficiences dans l'utérus peuvent produire la naissance d'un transsexuel. Un article parlait du suivi d'un groupe de transsexuels au travers d'un voyage spirituel et physique avec un rite de passage. Il y a très peu d'information sur les transsexuels après leur opération car ils sen fondent dans la société et vivent leur vie, et ne viennent pas la décrire aux chercheurs. Il y avait quelques études psychologiques démodées d'enfants qui avaient une dysphorie de genre, sur la base de petits groupes de patients. Mais il n'y avait pas d'aide pour moi. J'avais besoin d'un livre avec des instructions pas à pas -- Comment éduquer une parfaite transsexuelle -- qui puisse me dire "quand votre adolescent vous dit qu'il est transsexuel, vous devriez faire ceci et cela".

L'hôpital universitaire local m'informa que les spécialistes facturent $100 de l'heure et que cela prendrait probablement deux heures pour arriver au diagnostic. L'hôpital pédiatrique me dit en gros la même chose et l'agence locale de santé mentale n'avait pas de spécialiste. Je compris vite que les considérations financières étaient de la plus haute importance, parce que la première question était toujours "Quel genre d'assurance avez-vous?". Je me sentais totalement seule. Personne ne savait que faire, mais ils voulaient bien essayer de comprendre, pour un prix scandaleux.

Comment éduquer une parfaite transsexuelle?

A cette époque, je venais de me lancer dans le monde informatique, mai même si j'avais surfé sur le web, il y aurait eu peu d'information disponible au sujet des adolescents avec une dysphorie de genre. Bien que mes amis et mes proches n'en sachent pas plus, c'était réconfortant de leur parler. Mas mère et ma grande soeur me soutenaient et me rassuraient. La réaction de ma mère quand elle apprit fut "Aha! Bien sûr! Cela explique tellement de choses".

Mon amie mexicaine et "commadre" Chula (la grand mère de Daniel), n'était pas surprise au sujet de Daniel car elle avait remarqué qu'il marchait comme une petite fille alors qu'il avait seulement deux ans. Elle n'avait aucune difficulté à comprendre et à accepter cette situation et elle avait même lu des articles au sujet de la transsexualité dans des magazines mexicains. Elle s'attendait à des problèmes avec le père de Daniel en raison de son attitude très macho. "Comme il n'a jamais fourni la moindre aide aux enfants", dit-elle, "il a intérêt à être accueillant ou à ne rien dire du tout".

La première percée vint lors de mon rendez-vous avec le psychologue du centre gay et lesbien. Ce conseiller expérimenté ressemblait à un hippie avec ses boucles d'oreille, sa barbe et une pipe dans la poche de sa chemise hawaiienne et ses sandales. Il connaissait seulement un petit nombre de transsexuelles et peu d'entre elles avaient obtenu leur opération de réattribution de sexe. Mais il répondit à beaucoup de mes questions: il doutait que ce soit juste une passade qui allait disparaître; cela ne serait pas facile d'obtenir des hormones de la part d'un médecin ou d'un endocrinologue pour un mineur; les hormones qu'on trouve dans la rue sont dangereuses, mais certains s'y sont résignés pour économiser de l'argent; les hormones stopperaient une partie de la pousse des poils et l'épilation électrique serait aussi très utile; la plupart des effets des hormones disparaissent si on arrête d'en prendre. Le succès des transsexuelles dépend de leur crédibilité comme femmes et il pensait pouvoir me dire si Daniel le serait à partir d'une photo. Il me demanda quelle est sa stature et la grandeur de son père. Je n'étais pas en souci pour sa capacité à être crédible, parce que j'avais déjà vu Daniel comme une fille et je savais qu'il était très féminin.

Il m'informa que plusieurs endroits aux Etats Unis font de bonnes opérations de réattribution de sexe pour $10'000 et qu'un traitement hormonal coûterait probablement $100 par mois. Cette information était importante parce que j'aurais besoin de financer ces dépenses.

Le traitement hormonal et chirurgical des personnes atteintes de dysphorie de genre est strictement réglé par des directives émises par un groupe de psychiatres, médecins et autres prestataires de soins en 1979. Ces standards de traitement édictés par la l'Association Harry Benjamin pour la Dysphorie de Genre (HBIGDA) indiquent qu'un professionnel de la relation d'aide reconnu (psychologue, conseiller, psychiatre, ou un travailleur social) ayant des compétences reconnues dans le domaine doit être régulièrement consulté avant qu'une opération de réattribution de sexe ne soit autorisée. Ces directives ne sont pas inscrites dans la loi, mais comme seul un petit nombre de chirurgiens pratiquent les réattributions de sexe et que tous acceptent ce cadre, cela revient au même.

La première étape est de faire évaluer la personne atteinte par une dysphorie de genre par l'un de ces professionnels pendant une période de trois mois avant que cette personne ne puisse être autorisée à entreprendre un traitement hormonal. Il est également exigé de la personne qu'elle vive durant une année à plein temps dans le genre auquel elle s'identifie avant qu'une évaluation en vue d'une opération ne puisse avoir lieu. Un contact régulier avec le thérapeute durant cette période est nécessaire, car il faut une autorisation provenant de deux thérapeutes avant que l'opération de réattribution de sexe ne puisse avoir lieu.

Je n'étais pas encore prête à penser à l'opération. J'avais des besoins plus urgents comme trouver la meilleure manière d'aider mon adolescente. Ce premier conseiller me semblait être une personne chaleureuse et c'était quelqu'un avec qui je me sentais en confiance. Il me dit qu'il serait heureux de parler à Daniel mais qu'il n'était pas habilité à écrire une lettre recommandant l'opération. Ses services étaient financés par des dons et ils étaient gratuits quand on passait par le centre gay et lesbien.

Un homme du groupe de soutien du coin neutre m'appela en réponse à mon propre appel. Le groupe n'avait aucune information disponible et il n'avait jamais entendu parler d'un transsexuel aussi jeune que mon enfant. Il m'invita à assister à une réunion de leur groupe et à consulter leur bibliothèque. A la suite de ce contact, l'épouse d'un travesti m'appela. Elle avait découvert que son mari se travestissait environ une année après leur mariage. Mais, avec de l'amour et le soutien d'une relation d'aide, ils avaient réussi à digérer cela. Même leurs deux enfants connaissaient les pratiques de leur père et ne semblaient pas en être perturbés. Un prêtre lui avait dit que le travestissement n'était pas un péché tant que son mari ne blessait personne. Elle était très aidante et encourageante et bien que notre situation était très différente, c'était une bonne chose que de pouvoir parler avec une personne qui puisse comprendre les problèmes que nous devions affronter. C'était rassurant de savoir que d'autres personnes avaient passé au travers de quelque chose de semblable et qu'ils avaient continué à mener une vie féconde.

La plupart des informations sur la transsexualité que j'avais trouvée concernaient les adultes, aussi j'avais l'impression de devoir réinventer la roue. Des parents qui avaient du faire face à la même situation pourraient être très aidants. Qu'avaient-ils trouvé d'efficace? Quelles erreurs avaient-ils fait? Comment avaient-ils géré la situation à l'école? Comment des parents peuvent-ils aider leurs enfants?

Je savais que je devais accepter mon enfant comme une fille même si je n'avais aucune idée sur la manière d'élever une fille et encore moins une fille transsexuelle. Mais je ferais de mon mieux pour lui rendre la vie agréable. Un changement de ma pensée et de mes propos serait nécessaire pour accueillir une fille adolescente. Je fis le voeu que, au moment où elle reviendrait d'Arizona, je serais capable d'utiliser son nouveau prénom et des pronoms féminins. Pour m'entraîner, je psalmodiais "j'ai une nouvelle fille, son prénom est Danielle, elle est très jolie et je l'aime". Le mot avec lequel il m'était le plus difficile de m'accommoder était "fille" car j'avais toujours utilisé des termes masculins pour mes enfants -- "Allons -y les gars, mes garçons, hep, petit homme, ne fais pas cela". Je commençais à utiliser les mots "enfants et petits" au lieu de "fils et garçons". Durant ce temps où je luttais avec des problèmes de genre, cela me réconfortait que de penser à mon enfant comme à un ange -- pur, innocent et perdu, ni garçon ni fille. Je me demandais même si cela faisait partie de mon destin que d'avoir reçu la charge de cet enfant. Je me demandais "Pourquoi moi?", mais la réponse venait tout de suite "Parce que j'en suis capable!"

J'étais déterminée à laisser Danielle fixer le rythme de son évolution -- je n'accélérerais pas plus que je ne le ralentirais. Ca serait à moi de lui fournir autant d'information que possible, de discuter avec elle des différentes options et de payer les factures des traitements et de la chirurgie. Je fis aussi le voeu que notre maison, où qu'elle se trouve, serait son sanctuaire où elle serait protégée du monde, un endroit où elle serait en sécurité, sans le moindre jugement de ma part. Je la prendrais partout avec moi avec plaisir, tout comme cela avait été le cas de par le passé; je ne la cacherais pas et je n'aurais pas honte d'elle.

Alors que Danielle était en train de faire ses expériences à Phoenix, je participais à un anniversaire où la personne fêtée savait ce qui arrivait à Danielle, mais pas les autres. Quand ils m'interrogeaient sur mes garçons, j'avais de la peine à dire quoi que ce soit. Je fis de nombreux passages aux toilettes pour sécher mes larmes.

Il y avait plusieurs jeunes enfants dans la salle et j'entendais leurs mères échanger des histoires au sujet de leurs petits garçons. J'aurais voulu leur dire, "vous pensez qu'ils sont des garçons". Quand je voyais un petit garçon avec un beau visage, je m'interrogeais sur son identité. Ma perception du monde avait changé. Ma soeur fait des examens prénatals aux ultrasons et, souvent, elle indique le sexe aux parents sur la base des organes génitaux qu'elle voit. Je pensais que chaque parent devrait recevoir une lettre de décharge indiquant que le foetus avait des organes génitaux masculins, mais que son vrai genre pourrait ne pas apparaître avant plusieurs années".

Le groupe de soutien "coin neutre" avait des réunions mensuelles pour les personnes ayant des problèmes d'identité. La première fois que j'y assistais, je restais assise dans le parking pendant un moment pour trouver en moi le courage d'entrer. J'appréhendais le type de personnes que j'allais rencontrer. Finalement, j'entrais, motivée par l'espoir de trouver des réponses à certaines de mes questions. J'admets que j'étais aussi curieuse de voir à qui ressemblaient des transsexuelles.

Je ne pouvais pas distinguer les travestis des transsexuelles, ni dire si ceux qui paraissaient être des hommes en étaient réellement. J'avais de la peine à parler à qui que ce soit car je découvris que tous mes trucs pour entrer en conversation étaient basés sur le genre de la personne. Quand je rencontrais un homme, je cherchais d'abord à savoir s'il était célibataire ou disponible, et alors je parlais de son travail, de sport, des voitures ou des ordinateurs. Quand je rencontrais une femme, nous parlions de vêtements, des enfants, du travail ou des hommes. Quand je ne pouvais déterminer le genre, je devais lutter pour entrer en conversation. Je devais repenser ce que je savais des genres, ce que j'avais toujours pris comme allant de soi.

Après quelques minutes, une personne d'apparence masculine se présenta, ne dit qu'il était un travesti, mais qu'il ne s'était pas habillé ce soir et me demanda la raison de ma présence. Il fut bientôt clair pour lui que je ne pouvais pas parler sans pleurer et il changea le sujet de la conversation pour la politique, puis la santé et d'autres sujets neutres. Il était à l'aise dans la conversation, intelligent, et bien sous tous rapports. Il ne semblait ni bizarre ni inquiétant et il n'avait aucun des défauts que je craignais de rencontrer au cours de cette réunion.

Puis un couple me révéla qu'elle était une transsexuelle homme vers femme (MTF [5]) et lui un transsexuel femme vers homme (FTM [6]) et qu'ils avaient récemment changé de genre ensemble. Ils ne connaissaient aucun jeune transsexuel ni n'avaient d'expérience avec les écoles mais ils me donnèrent les noms de thérapeutes et d'endocrinologues et ils me firent part de leur soutien alors que je m'apprêtais à aider ma nouvelle fille. J'étais heureuse de faire la connaissance d'un groupe de personnes charmantes, qui parlaient d'informatique, de famille et de mode, et je nouais des amitiés que me seraient d'une grande aide alors que je me hasardais dans un territoire nouveau et peu familier.

Alors que la soirée avançait, je fus présentée à tout le monde et j'appris que nombre d'entre eux étaient des hommes d'affaires qui avaient réussi et qui avaient des épouses solidaires. Certains étaient habillés en femme alors que d'autres étaient en "drab [7]" ce qui signifiait qu'ils ne s'étaient pas habillés en femme ce soir là. J'appris à faire la différence. D'autres étaient des MTFs ou des FTMs, mais, à ma grande surprise, la plupart apparaissaient heureux et bien intégrés. Certaines femmes étaient habillées très élégamment, alors que je m'étais habillée comme d'habitude sans boucle d'oreille, ni vernis ni talons. Ils m'inclurent chaleureusement dans leur petite communauté et me donnèrent plusieurs livres tirés de leur bibliothèque. C'était intéressant de découvrir des livres sur d'anciennes figures mythologiques grecques qui étaient transsexuelles et qui n'étaient pas traitées comme des malades mentaux. Les indiens américains avaient aussi de nombreux transsexuels dans leurs tribus qui étaient traités avec respect comme des leaders et comme des enseignants parce qu'ils pouvaient voire le monde tant du point de vue féminin que masculin. La société indienne traditionnelle était aussi très tolérante avec les enfants qui décidaient à quel genre ils voulaient appartenir. Bien que ces livres traitent essentiellement d'adultes, je les lisais quand même car je voulais apprendre tout ce que je pouvais sur ce sujet. Cette expérience avec le coin neutre me donna la première lueur d'espoir que Danielle pouvait avoir un avenir heureux et fructueux.

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Sur le chemin de l'aéroport pour aller accueillir ma nouvelle fille, de retour de Phoenix, je me demandais si je la reconnaîtrais. Serait-elle réellement une charmante adolescente? Je n'avais pas besoin de me faire de souci car elle me semblait adorable, peut être un petit peu criarde dans son habillement et son maquillage, mais définitivement une femme attirante. Elle était un peu anxieuse de comment je l'accepterais. Quand je l'étreignis et que je lui dis que je l'aimais, une des première choses qu'elle me dit fut "Je ne peux pas retourner à l'école en garçon. Je suis bien trop heureuse en tant que femme pour jamais revenir en arrière". J'en étais déjà arrivée à la même conclusion. Elle me remerciait sans cesse de la laisser être une fille et elle me dit combien elle était reconnaissante envers ses frères et envers Denis pour l'avoir tant aidée.

Après quelques semaines, il devint évident pour tous ceux qui connaissaient Danielle que ce changement était un processus merveilleux et heureux. Elle était pétillante, exubérante et optimiste pour sa nouvelle vie alors que la personne qu'elle avait toujours été dans son coeur commença à émerger. Elle se mit à abandonner le comportement masculin qu'elle s'était efforcée de maintenir. Il y avait encore des moments où elle sentait le petit garçon s'asseoir sur son épaule et lui susurrer que le mâle était encore présent. Mais ils allaient en s'espaçant. Alors qu'elle prenait confiance dans le fait que les autres voyaient en elle une fille, elle laissa son caractère charmant s'exprimer et s'épanouir. C'était une célébration de vie!

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1. De l'américain "third grade"
2. De l'anglais "baritone horn"
3. De l'anglais "Hand stand"
4. De l'anglais "One handed somersault"
5. De l'anglais "Male To Female"
6. De l'anglais "Female To Male"
7. De l'anglais "DRessed As a Boy"


 

 INTRO

 PARTIE II

 PARTIE III

 PARTIE IV

 ANNEXES